Writer Officina - Biblioteca

Autore: Martine Vanderschueren
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Points de vue
1 - Naples - Juin 2020
• Roberta

Ce matin, il pleut.
Quand j'ai ouvert les yeux, j'ai entendu le bruit de la pluie sur les vitres. Quel dommage, l'été a présenté le bout de son nez depuis plusieurs semaines. Hier il faisait si beau. Je me suis levée à contrecœur. Je n'aime pas l'image que mes yeux rencontrent en me regardant dans le miroir. J'ai mal dormi et cela se voit.
J'allume la radio pour avoir un petit semblant de compagnie pendant le petit déjeuner.
Heureusement je découvre un message que ma fille Chiara m'avait envoyé hier soir mais j'avais éteint le téléphone assez tôt.
“Bonsoir maman, aujourd'hui c'est un jour formidable. J'ai rencontré un garçon super gentil. Il est beau et sympathique”.
Je souris...Chiara tombe amoureuse facilement. Qui sait combien de temps cela va durer cette fois-ci.
Elle me manque. Cela fait quatre ans qu'elle habite à Rome et on ne se voit pas souvent.
J'espère la revoir bientôt car, à cause de la pandémie, elle est restée à Rome toute seule. Elle ne pouvait pas travailler non plus car les studios de télévision sont fermés. Ils reprendront sous peu, et elle essayera dès lors de trouver la possibilité de venir à Naples.
Entretemps mon café s'est refroidi. Mes pensées ont pris le dessus.
Tout a commencé quand elle a participé, pour le plaisir, à une audition pour une série télévisée. Pour le régisseur, ça a été le coup de foudre. A 20 ans, grande, élancée aux yeux de biche, elle a fait fureur et on l'a engagée pour le nouveau projet.
Maintenant on la reconnaît aussi dans la rue pour lui demander une photo ou un autographe.
Au début, cela n'a pas été facile. Il fallait lui trouver un hébergement à Rome. Moi, je travaillais dans un hôtel et je ne pouvais pas m'absenter, donc c'est mon mari Carlo qui s'en est occupé.
Probablement c'est à cette occasion qu'il a rencontré Simona.

2 - Naples - Rencontre avec Carlo 1994
• Roberta
Lorsque Carlo et moi nous étions rencontrés durant le mariage d'amis communs, le déluge universel a éclaté et nous avons fui pour nous mettre à l'abri de cette pluie battante et de ces rafales de vent. Je me suis retrouvée sous une tonnelle avec ma robe trempée et le mascara dégoulinant. Lui aussi, figé à côté de moi, n'était pas dans son meilleur état non plus. On s'est regardé et on a éclaté de rire.
Cela a été le début d'une belle histoire d'amour.
Il était jeune, beau, grand et sympathique. Il me faisait beaucoup rire et j'étais heureuse. Il travaillait comme architecte pour une entreprise de construction.
A cette période-là, je cherchais du travail dans le tourisme: j'avais à peine terminé mes études. J'étais aussi allée pour six mois en Belgique chez mon oncle qui travaillait au port d'Anvers pour une entreprise qui importait des bananes d'Amérique du Sud. J'ai pu faire un stage chez lui pour exercer mon français et mon anglais et pour apprendre tous les secrets du métier. Je serais peut être restée là-bas si mon père n'était pas tombé malade et s'il n'avait dû être opéré d'urgence.
Carlo et moi nous nous sommes fréquentés pendant plusieurs mois. Il habitait à Naples dans un quartier nommé Petraio, moi je vivais à Sorrento. On se voyait tous les week-ends, soit à Sorrento, soit chez lui. Un soir, lors d'un dîner romantique dans un restaurant à Naples, il m'a demandé de venir habiter chez lui. J'étais au septième ciel et le mois suivant j'ai déménagé.
Deux mois plus tard, j'ai trouvé du travail dans un hôtel, à la réception. Tout allait bien.

On s'est mariés l'année suivante. Nous sommes partis en voyage de noces au Kenya , il adorait le safari, moi je n'en avais jamais fait. Durant une semaine, on a parcouru les parcs du Masai Mara, Amboseli, pour continuer à travers le Tsavo. Arrivés à Dania Beach nous sommes encore restés une semaine.
J'avais l'impression d'être au paradis. A notre retour , à ma grande surprise, j'étais enceinte. Le bonheur total.

Je n'aurais jamais imaginé que ce grand amour puisse finir un jour. J'avais probablement l'exemple de mes parents qui ont vécu toute leur vie ensemble, avec des hauts et des bas comme tout le monde, mais qui sont restés toujours unis.

3 - Naples - La famille - Juin 2020
• Roberta
Mes pensées errent encore. Aujourd'hui, j'ai rendez-vous avec mon amie Maria. On se connait depuis notre enfance. Nos familles habitaient à proximité et nous avons grandi comme deux sœurs. Nous étions enfants uniques, avions le même âge et avions fréquenté la même école. Tout d'abord l'école primaire et secondaire à Sorrento, puis le lycée linguistique à Meta. Nous nous sommes seulement séparées à l'Université, où j'ai entrepris les cours d'économie du tourisme et où elle a préféré continuer l'étude des langues.

Au fil des années, nos vies se sont croisées continuellement. Elle a épousé Stefano, le frère adoptif de Carlo et ils sont venus habiter à deux pas de chez nous. Ma fille Chiara est née un mois avant Valeria et les petites, tout comme nous, ont un lien particulier. Trois ans après, Giulio est né, il a aujourd'hui 21 ans et étudie à Milan. Il a toujours eu un caractère très difficile et il ne s'est jamais beaucoup lié ni avec Chiara, ni avec Valeria. Pour le moment il est inscrit à la faculté vétérinaire mais il nous a toujours causé des soucis.

Je me mets à débarrasser la table du déjeuner. Il est temps de me préparer. Heureusement le temps s'est éclairci. Maria et moi avons projeté d'aller à la plage. Celles-ci ont finalement été réouvertes. Ces mois de confinement, dus à la pandémie, nous ont tenues séparées et cela a été très dur. Je me suis sentie très seule car Carlo et Chiara sont à Rome et Giulio est resté bloqué à Milan. Pour Marie cela a été très difficile aussi, Stefano est infirmier et depuis le début du Covid19, il ne pouvait pas rentrer chez lui par crainte de contaminer sa famille et devait passer les nuits avec les autres médecins et infirmiers dans une maison près de l'hôpital.

Voilà, je suis prête. On se voit d'abord pour un café dans notre bar préféré et puis à la plage de Marechiaro.

4 - Naples - Roberta Maria et Sofia - Juin 2020
• Roberta
La voilà...On s'embrasse. A côté d'elle, il y a Sofia, sa petite fille de quattre ans. C'est une belle petite gamine aux cheveux dorés et au sourire contagieux avec ses fossettes.

“Comment vas-tu mon chou?” je lui demande en la soulevant vers le ciel. Elle est contente et elle rit.
“Tu sais, mon grand-père est revenu à la maison, je suis heureuse”.
“Quelle belle surprise Sofia” je lui réponds en regardant Maria d'un regard interrogateur.
“Je suis ravie qu'il soit revenu. Quand est-il rentré?”
“Hier soir, j'étais tellement surprise de le voir que je ne t'ai pas appelée. Il n'y a plus de malades en réanimation et il a pu rentrer à la maison”.
“Alors il faut célébrer cela. Café et croissants pour tous!”

La journée est très belle. La pluie et le vent ont balayé les nuages.

Je pense à Chiara: viendra-t-elle peut-être à Naples pour aller à la plage? Dès que je rentre à la maison, je l'appelle, ainsi , elle me racontera sa nouvelle conquête.

“Maria, as-tu des nouvelles de Valeria ?”
“Non, malheureusement. Pour le moment elle devrait être au large des Caraïbes avec Alex”.
Valeria est la maman de Sofia. A l'âge de dixneuf ans elle était amoureuse d'un garçon plus âgé d'une dizaine d'années et elle est tombée enceinte. Je me souviens du jour où elle est venue chez moi en larmes pour dire à Chiara et à moi qu'elle attendait un bébé. Elle n'osait pas en parler chez elle car elle avait peur de la réaction de son père. Valeria venait toujours chez moi et Chiara quand elle avait besoin d'un conseil ou qu'elle avait des soucis et Maria, sa maman, n'aimait pas cela. J'ai promis à Valeria que je parlerai à sa maman. En effet, en profitant d'un café dans notre bar préféré dans le vieux centre de Naples où on se voyait très souvent déjà à la période de l'université, j'ai essayé de tout lui raconter.

Maria m'a dit qu'elle soupçonnait quelque chose, c'est normal, les mamans ont toujours un sixième sens quand il s'agit des enfants, mais depuis que Valeria fréquentait cet homme, leur relation était en crise.
Malgré tout, elle a pris la nouvelle du bon côté ainsi que son mari Stefano qui a été compréhensif.

Vers le sixième mois de grossesse, le père du bébé a disparu et n'a plus donné de ses nouvelles. Ce fut un drame pour Valeria car elle espérait fonder une famille. Plus tard on a su qu'il était déjà marié.

Mais petit à petit, tous les soucis se sont dissipés et Valeria a retrouvé la sérénité quand sa petite fille est née.
“Roberta, tu viens nager avec moi?” La petite Sofia me caresse les cheveux et mes pensées retournent vers la plage.
“Bien sûr, allons-y, prends ta bouée”. L'eau est encore froide mais on plonge quand même en riant.

Heureusement que Maria et Sofia illuminent la journée.

5 - Rome - Chiara se raconte - Juin 2020
• Chiara

“Bonsoir maman, aujourd'hui c'est un jour formidable. J'ai rencontré un garçon super gentil. Il est beau et sympathique”.

Il est presque minuit, mais j'ai envie de dire à maman à quel point je suis contente. Je lui ai envoyé un whatsapp mais elle ne le lit pas...je pense qu'elle a éteint son téléphone. Dommage, je voulais bavarder avec elle. Elle est mon point de repère pour tout. Elle a toujours le mot réconfortant quand les choses ne vont pas comme il le faut, et déjà entendre sa voix me donne du courage. Je regrette de ne pas la voir souvent. Je ne peux pas parler non plus avec Valeria: cette coquine a trouvé l'amour avec Alex. Lui, est skipper et ils sont partis pour une longue régate. Malheureusement Sofia était trop petite pour les accompagner et elle est restée avec Maria, mais je sais qu'elle est souvent chez maman. Heureusement qu'elle n'est pas partie parce que, avec la pandémie causée par le Covid, ils ne peuvent aborder nulle part et au large, il n'y a pas de réseau pour téléphoner. Je suis inquiète parce que je n'ai pas de nouvelles d'eux depuis 2 mois.

Aujourd'hui, j'ai mangé chez papa et Simona. Depuis que mes parents ont divorcé, tout est plus compliqué. Disons que, heureusement pour moi, papa s'est installé à Rome chez Simona, et si j'ai besoin de quelque chose, c'est pratique.Mais j'aimerais que maman soit moins loin. Pendant le confinement je ne l'ai pas vue et je me suis sentie abandonnée, même si ma colocataire Ada est restée aussi à Rome. A partir du moment où on pourra circuler, le week-end prochain, j'irai à Naples.

Aujourd'hui, comme la journée est splendide, Ada et moi avons décidé d'aller à la plage. On a loué deux transats et on s'est bien amusées. Dans le kiosque de la plage on a rencontré un garçon bien gentil. Il s'appelle Luca. On a bavardé, il est très sympathique. Demain, je le revois au centre de Rome.

J'habite depuis 4 ans à Rome où je travaille. Tout a été une loterie. J'avais vu sur internet qu'à Cinecittà on cherchait des actrices pour un rôle important dans un nouveau scénario. Bien que je ne fusse pas actrice et que je n'aie jamais pris de leçon de diction, j'avais envie d'essayer. J'ai toujours aimé les choses difficiles et je ne renonce pas facilement. Je pense que je tiens cela de ma maman. A Naples, je ne trouvais pas de travail. Après les écoles supérieures, j'ai essayé de m'inscrire à l'Université. Je voulais devenir architecte comme papa, mais j'ai raté mon test. En plus, mon petit ami du moment m'avait laissée tomber et j'étais en crise. Il fallait tourner la page. J'ai commencé en me faisant couper les cheveux tout courts, il parait que c'est le premier signe lorsqu'on veut un changement. Le même soir j'ai acheté un billet d'avion pour Biarritz . A partir de là, j'avais l'intention de prendre un train et de partir pour faire le “Chemin français de Santiago”.

Je n'avais aucune idée de ce qui pouvait m'attendre, j'avais vu le film “The Way” et j'étais tombée amoureuse de cette belle histoire. Je n'avais pas l'habitude de faire des longues randonnées et je n'avais pas non plus l'équipement nécessaire, mais en quelques jours je me suis informée. J'ai acheté des chaussures de trekking, un bon guide et un sac à dos. Et voilà que j'étais prête pour affronter cette aventure. C'était le seul moyen de me déconnecter et de retrouver mon enthousiasme.

Ma mère était très inquiète car faire cette randonnée seule c'est dangereux. Elle m'a téléphoné plusieurs fois pour savoir où je me trouvais, mais heureusement, déjà le premier jour, au départ de St Jean Pied de Port, j'ai rencontré deux filles israéliennes qui sont devenues mes copines d'aventure . Nous avons parcouru 800 km qui nous séparaient de Santiago et avons croisé de nombreux pèlerins. Cela n'a pas été facile, il y a eu des moments de découragement, mais ensemble on a surmonté tous les obstacles et nous sommes arrivées à Santiago en cinq semaines.

Quand je suis rentrée à Naples, j'étais en forme. Mon amie Valeria avait accouché d'une belle petite fille et tout allait bien aussi pour moi.

Un jour, sur internet, j'ai vu l'annonce de Cinecittà. Pourquoi pas ? Maintenant je n'avais plus peur de l'impossible et j'ai envoyé ma candidature.

Plusieurs mois se sont écoulés, j'avais déjà perdu l'espoir, quand un jour j'ai reçu un mail qui me convoquait pour une audition. Il fallait que j'aille la semaine suivante à Cinecittà. J'étais super contente. Au moins j'aurais fait quelque chose d'amusant.

A la fin, je suis restée à Rome deux semaines. Le régisseur semblait être intéressé et chaque jour il fallait revenir pour faire des essais. Le milieu était nouveau pour moi, mais j'étais à l'aise. A la fin de la période de tests, on était restées à deux. L'autre fille était très belle et on était devenues amies. Je regrettais de devoir me séparer d'elle. Il fallait attendre un mois pour avoir la réponse définitive.
De retour à Naples. J'étais euphorique. J'avais décidé de ce que j'allais faire de ma vie, et quand on m'a dit que j'avais obtenu le rôle, mes yeux se sont remplis de larmes, je devais déménager à Rome parce que les émissions commençaient dans deux mois. Je ne saurai jamais pourquoi on m'a choisie.

Martine Vanderschueren

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Erri De Luca Erri De Luca. Nato a Napoli nel 1950, ha scritto narrativa, teatro, traduzioni, poesia. Il nome, Erri, è la versione italiana di Harry, il nome dello zio. Il suo primo romanzo, “Non ora, non qui”, è stato pubblicato in Italia nel 1989. I suoi libri sono stati tradotti in oltre 30 lingue. Autodidatta in inglese, francese, swahili, russo, yiddish e ebraico antico, ha tradotto con metodo letterale alcune parti dell’Antico Testamento. Vive nella campagna romana dove ha piantato e continua a piantare alberi. Il suo ultimo libro è "A grandezza naturale", edito da Feltrinelli.
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